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"La science, c'est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c'est ce que le fils enseigne à son papa." - Michel Serres, Philosophe

lundi 24 décembre 2012

HFR, Hi F*cking Reality !

Il y a une semaine exactement je retournais en Terre du Milieu.
Il y a une semaine j'assistais à l'avant-première du film "The Hobbit - An Unexpected Journey".
Il y a une semaine je faisais l'expérience d'un film en HFR 3D...

"Va falloir que tu t'y habitues petit, on est deux fois plus nombreux à présent !"
HFR, ça veut dire "High Frame Rate" (et non "High Frequency Resolution" comme je l'ai entendu en préambule à la projection lors de l'avant-première, mais où a-t-on été cherché cela ?), en français ça donne "haut débit d'images"... ou plus justement, "haute cadence d'images".


Le problème avec le HFR, c'est qu'il y a beaucoup trop de nains !
Bilbon  Sacquet 


Un film cinéma est habituellement (dans 99,999% des cas) tourné et projeté à 24 images par seconde... 24 images par seconde, c'est juste ce qu'il faut pour offrir à l'œil humain l'illusion d'un mouvement et oublier que le cinéma n'est qu'une succession d'images désespérément fixes et figées (je le sais que trop bien puisqu'une partie de mon travail consiste à passer plusieurs heures sur chacune d'entre elles). "The Hobbit" est lui tourné (et projeté en HFR) à 48 images par seconde ! Soit le double de la cadence normale ! Mais ce n'est pas tout, le film est aussi tourné en 3D (enfin en relief devrait-on dire... mais on n'échappe pas au terme commercial "3D" qui a été très maladroitement adopté par l'industrie cinématographique). Et pour finir, "The Hobbit" a été tourné en très haute résolution (plus de pixels en largeur et hauteur !), en "4K" comme c'est écrit partout... ce 4K fait référence à 4 kilos (kibi exactement pour les puristes) ! 4 kilos de quoi ? 4 kilos de pixels, ça donne environ 4000 pixels... et c'est censé nous indiquer la largeur en pixels de l'image... en fait plus précisément "The Hobbit" a été tourné avec des rigs stéréoscopiques composés chacun de 2 caméras RED EPIC X 4K (taille de capteur : 5120 x 2700), quoi qu'il en soit, ça fait 4 fois plus de pixels exploités (2 x plus en largeur multipliés par 2 x plus en hauteur) que dans la majorité des films (aujourd'hui le plus souvent tournés en 2K puis conformés et projetés en 2K).

Mais pourquoi tout ça ? La combinaison du tournage en haute cadence d'images (HFR), de la stéréoscopie (3D) et de l'augmentation de la résolution (4K) permet d'améliorer sensiblement ce qu'on appelle dans le cinéma "l'effet de réalité". Le but est d'augmenter significativement l'immersion du spectateur dans la "réalité" qui lui est proposée...

Bon des films en 3D vous en avez certainement déjà vus (avec vos magnifiques lunettes sur le nez)... des films en 4K peut-être moins (ces projecteurs là se font assez rares encore aujourd'hui)... mais ce qui change vraiment sur "The Hobbit", qu'il soit vu en 2K ou 4K, c'est l'adoption et la reproduction à l'écran du mouvement à 48 images par seconde... ce qui change par rapport à nos expériences cinématographiques précédentes c'est donc ce fameux HFR !

Gandalf en 3D c'est la classe quand même !
Le HFR c'est vraiment tout neuf ? Pourtant booster le nombre d'images par seconde n'est pas nouveau... il y a eu des tas de tests opérés dans l'histoire du cinéma... qui ont même été convertis en formats commerciaux, pour citer l'un des plus connus je prendrai l'exemple du Showscan de Douglas Trumbull, technique de captation et de projection initialement basée sur le défilement accéléré d'une pellicule de 70mm de large à 60 images par seconde. J'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de voir des films en Showscan au Futuroscope de Poitiers... il est vrai que dans le cadre d'un parc à thème sur l'image c'est une expérience assez pertinente... mais bon les films qu'on vous présente ne se cachent pas derrière leur statut de "tour de force technique"... on voit de la bonne démo, l'impression de réalité est en effet indéniablement augmentée, mais ça s'arrête là, on n'est pas ici pour vous raconter une histoire, juste vous en mettre plein les mirettes.

L'expérience de hautes cadences bien au-delà du 48 images par seconde vous la vivez aussi tous les jours en regardant la télévision ou encore en tripatouillant vos souris, claviers ou manettes face à des jeux vidéo ! Oui, la télé est en "HFR" depuis un petit moment... même mieux, elle n'avait pas d'autres choix que de l'être dés son invention ! On dit que la télé tourne à 25 images par seconde (25 images par seconde en Europe, 29,97 images par seconde aux Etats-Unis et au Japon)... mais ça n'est pas tout à fait vrai, depuis ses origines la télévision vous délivre le double de la cadence indiquée, en fait les caméras et téléviseurs travaillent à 50 "trames" (fields) par seconde. Chacune de ces trames est révélatrice d'un chrono-événement différent... donc lorsque vous regardez un contenu purement vidéo (comme le journal de 20h, un reportage, un match de football), vous observez bien l'équivalent de 50 découpages de la réalité par seconde... soit un débit surclassant même légèrement le fameux HFR du Hobbit.

Si nos télés avaient été inventées à 25 pures images par seconde, elles n'auraient jamais eu de succès auprès des utilisateurs car elles auraient clignoté de manière atroce ! Il fallait donc doubler ce clignotement pour le transformer en un scintillement plus discret... or tourner et diffuser en 50 images par seconde aurait généré un flux d'informations électriques trop dense (ou aurait impliqué de trop amputer la résolution des images pour compenser ce déferlement de données)... il a donc fallu "casser les images en 2", inventer les "trames", des sortes de "demie-images" que l'on entrelace. En fait, lorsque vous regardez une vidéo, la moitié des lignes de l'image vous sont transmises dans un premier temps, puis les autres juste l'instant après, par exemple on va vous diffuser l'ensemble des lignes paires de l'image en premier, les lignes 2, 4, 6, 8... etc puis ensuite l'ensemble des lignes impaires 1, 3, 5, 7... etc... ce sont ces "ensembles de lignes" qui sont appelés "trames". Puisque les caméras travaillent comme les téléviseurs, ces trames sont captées à des instants différents, expliquant pourquoi chacune de ces trames est le reflet d'un instant unique... et pourquoi c'est bien l'équivalent d'un 50 images par seconde que vous observez la plupart du temps à la télévision !

Aux Etats-Unis et au Japon, les téléviseurs fonctionnent à 29,97 images par seconde (historiquement la télé noir et blanc était figée à 30 images par seconde mais l'arrivée de la couleur a légèrement modifié cette cadence d'un petit millième, 30 x 1000 / 1001 = 29,97), donc les américains et les japonais observent 59,94 trames par seconde ! Plus fort encore, les écrans à cristaux liquides des ordinateurs travaillent nativement à 60 images par seconde (comme le Showscan !)... et il existe aujourd'hui des écrans pouvant afficher 120... voire même encore plus images par seconde ! Ou est l'intérêt ? Quels sont les contenus pouvant arroser autant d'images à la seconde ? Les jeux vidéo ! La plupart des images de ces jeux sont générées par des cartes graphiques... et plus une image est simple à produire, ou plus la carte est puissante, plus l'image est générée rapidement... ce qui fait qu'en fonction de votre configuration matérielle et logicielle, vous pouvez voir vos jeux grimper en cadence d'images ! Souvent les sites techniques mesurent la puissance d'une carte graphique à sa capacité à booster le compteur "FPS" sur un jeu... "FPS" ça veut dire "Frames Per Second" ou "images par seconde". Donc si votre carte est musclée et vous affiche un bon "60 FPS", vous êtes là encore face à un contenu en HFR !

"Quand je dis HFR il y a comme un écho... c'est bizarre ?"
Ça n'est pas fini ! Certains écrans de télévision aujourd'hui sont capables d'augmenter la cadence d'images d'une source vidéo, quelle qu'elle soit sa cadence originelle... De plus en plus de téléviseurs ont des modes appelés "Motion Flow", "TruMotion", "Motion Boost", "Smooth Motion" ou autres terminologies vantant la création d'une fluidité dans les mouvements. Au départ ces procédés techniques (dits d'interpolation de mouvement) consistant à analyser le mouvement pour produire et intercaler des images supplémentaires "entre les images" ont été inventés pour masquer l'incapacité de certains (voire de la majorité) de ces téléviseurs à diffuser correctement des cadences non compatibles avec le fonctionnement natif de leur dalle. Aujourd'hui ils permettent de transformer des contenus originellement à 24, 25 ou 29,97 images par seconde en 60, 120 (ou plus) images par seconde ! Certains téléviseurs ont ces modes activés de base... donc, sans le savoir, beaucoup de gens ne voient que des contenus en HFR sur leur téléviseur... et ce parfois depuis plusieurs années ! Bien sûr ces conversions à la volée ne sont pas toujours exemptes d'artefacts, de glitchs et autres petits défauts sur les contours des objets en mouvement, mais peu importe, ce qui compte dans ces procédés est la "fluidité", et cette "fluidité" est tout de suite perceptible... et peut même être extrêmement bénéfique sur des contenus d'images "réelles", par exemple un bon match de football en HD (haute définition : 1920 x 1080 pixels) et à 120 images par seconde est indéniablement plus attractif que sa version SD (définition standard 720 x 576) à 50 trames par seconde !

Donc finalement l'expérience du HFR n'est pas exclusive au Hobbit... vous comme moi l'avons maintes et maintes fois vécue durant notre vie ! Alors pourquoi toute cette agitation autour du HFR ? Pourquoi un film cinéma n'aurait-il pas le droit lui aussi d'adopter un régime de cadence plus élevé ? Voilà, le cœur du débat s'anime enfin...


Hhhhhhhh Frrrrrrrr ! Excusez-boi Bilbon, je suis tout enrhubé avec toutes ces ibages !
Frodon  Sacquet 


Je reviens à cette expérience vécue en salle il y a une semaine.

Les publicités et bandes-annonces précédant le film défilent sans trop de problèmes... on nous vole celles de "Star Trek into The Darkness" et la nouvelle de "Man of Steel" qui nous étaient promises mais bon je passe. On enchaine les contenus en 2K puis on nous demande de chausser nos lunettes... et on passe à une suite de contenus en 2K 3D...  le temps tourne, on (s'im)patiente... puis enfin noir dans la salle, discrètement le format de l'image sur l'écran change, on passe du 1.85:1 au 2.39:1... et... gros bugs colorés sur l'écran ! ... On ne s'inquiète pas... tout le monde dans la salle comprend que là-haut le projecteur s'est mis en mode HFR ! Ça y est, "The Hobbit" peut démarrer !

Pas de surprise, dés l'arrivée des logos de la Warner, de New Line et de la MGM, la première impression est celle que l'on peut ressentir face à un contenu vidéo de trames entrelacées... sauf que l'adjonction de la haute résolution et de la 3D donnent un sérieux coup de fouet à la définition et à la perception améliorée de cette définition. Bon ok, on regarde une pure télé 3D pleine de pixels au cinéma (!)... attendons maintenant de vraies images avec de "vrais" nains dedans... on verra bien... et là soudain les choses se compliquent. Premières images d'une bougie qu'on allume, de Bilbon qui farfouille dans un coffre et qui traverse un couloir... et impression partagée d'images accélérées (partagée car unanimement ressentie et discutée en sortie de salle après la projection). Oui, on a l'impression que le projectionniste s'est gouré et est en train de nous diffuser le film en accéléré ! A la manière du cinéma dynamique au Futuroscope qui diffuse à 60 images par seconde des contenus captés à des fréquences moindres, accélérant ainsi les mouvements à la projection (je me souviens d'un petit train dans la neige avalant ses rails comme un fou, et nous ballotés de toutes parts sur nos sièges à vérins à regarder ça les cheveux au vent !)... Ou encore, à la manière des séquences accélérées à la télévision, toujours cette référence culturelle à l'entrelacement et aux trames qui est liée au fait que les contenus accélérés sur les logiciels de montage sont systématiquement entrelacés (souvent par négligence ou ignorance du monteur même si le reste du film monté n'est qu'à 25 images réelles par seconde)... et donc les "trucs qui vont vite" à la télé sont souvent diffusés à 50 trames par seconde.

"Hé les nains, regardez-moi, on dirait que je cours deux fois plus vite !"
Bon ok, on va s'y faire... ça va passer. En fait, dans mon cas et dans celui de nombreuses personnes avec qui j'étais, ça a mis entre 30 minutes et 1 heure à "passer"... Pour ma part j'ai mis 45 minutes à m'y accommoder... je n'ai pas dit que cette cadence accélérée ne se faisait plus du tout ressentir, en fait cette impression visuelle d'être face à un contenu vidéo entrelacé m'a imprégné les n'œils durant toute la durée du film... mais j'avoue que si dans les premières minutes je pensais que ça allait rendre cette projection insupportable, je me suis moins posé cette question au bout des 45 minutes...

Là j'avoue que ces impressions deviennent proprement personnelles... et peut-être avez-vous vécu cette expérience différemment ? Pour ma part, cette bonne vieille habitude de voir des films à 24 images par seconde a sûrement joué contre moi... j'en suis conscient... mais j'ai vraiment tenté de vivre cette expérience cinématographique en ayant l'esprit et les yeux grand-ouverts... et quoi qu'il en soit un truc ne passe pas du tout : l'ensemble des paramètres de l'image, la très haute définition, la 3D et le HFR, contribuent à nous donner une acuité jamais atteinte sur le matériau filmique nous faisant face, bon là ça ressemblerait plutôt à un avantage, hélas on se rend compte que notre perception des éléments présentés à l'image est si amplifiée qu'elle en vient à révéler la réalité même de ces éléments ! C'est à dire, plutôt que de contribuer à augmenter l'effet de réalité pour améliorer l'immersion du spectateur dans cet univers alternatif qu'est la Terre du Milieu, le HFR 3D nous sert la réalité telle qu'elle est... celle du décor de cinéma, de la lumière, du maquillage, des prothèses (de pieds, de nez), des postiches et autres perruques ! Le HFR ne nous permet pas de mieux vivre dans cet espace filmique imaginaire... mais nous révèle de manière cruelle les ingrédients servant à le construire. C'est d'autant plus fort lorsqu'on travaille dans ce milieu... le HFR nous connecte directement au set de tournage !


Viens voir mon film en HFR, ça te rappellera le boulot !
Peter Jackson Five


le HFR soudain révèle tout ce que le cinéma s'était évertué à cacher durant des années. L'art du cinéma est bien plus de cacher que de montrer... et soudain le HFR fait l'inverse... il nous montre bien plus qu'il nous cache ! La réalité du tournage débarque dans l'univers du spectateur, une irruption soudaine et contre-productive puisqu'elle entre en conflit avec l'idée que nous sommes là pour adopter un univers imaginaire. Le HFR, censé amplifier la diégèse, vient en fait amplifier le mimesis... son pire ennemi !

Pourquoi les contenus à hautes cadences d'images ne nous avaient pas choqués outre-mesure auparavant ? Simplement parce qu'ils n'étaient pas là pour nous raconter des histoires.

Les films Showscan du Futuroscope déjà cités précédemment n'étaient que des démos techniques destinées à nous ravir les sens... mais il ne s'agissait pas de fictions (en fait j'en ai vues, aussi rares que ratées, partageant le même syndrome que celui du Hobbit, le relief en moins). Les contenus en HFR servent souvent aux attractions et on ne vous rappelle jamais autant que vous êtes un spectateur que lors de ces "expériences audiovisuelles" : on vous guide dans la file, on vous explique comment prendre place sur votre siège, comment mettre vos lunettes, on s'adresse à vous directement ! Bref, votre expérience de spectateur fait partie de l'attraction générale, jamais les personnages des contenus en HFR dans les grands parcs ne nient le fait que vous soyez assis en face d'eux ! Et quand la salle vire au noir et que ça devient enfin sérieux, ça commence souvent par un "Accrochez-vous !"... ça veut absolument tout dire et ça n'a rien à voir avec le cinéma en tant que tel. Imaginez un personnage de fiction qui, en pleine histoire, se tournerait soudain vers vous (avec un "joli" regard caméra) et vous adresserait la parole en vous vouvoyant directement... que vous arriverait-t-il alors ? Où que vous en seriez rendu dans l'histoire, en un instant vous redeviendriez un humain-spectateur assis dans une sombre salle de cinéma ! Le réel exploserait, l'imaginaire imploserait !

"J'espère qu'il est bien ce Arthur en 4D parce que Poitiers ça fait une trotte depuis la Terre du Milieu !"
Revenons à la télévision, une expérience plus universellement partagée... si sur nos écrans, entrelacés et gavés de trames, les contenus HFR ne nous ont jamais choqués, c'est qu'ils traitent directement du réel ! Que ce soient les images vidéo du présentateur du journal sur son plateau avec ses invités, celles du reportage à suivre, ou encore la retransmission en direct du grand événement sportif de la semaine, là encore le réel est assumé et personne ne nous raconte d'histoires (attention je ne diminue pas l'impact du montage sur le sens de ce qui nous est présenté - et donc raconté - dans ces contenus dits du "réel", c'est un autre débat, je parle uniquement de la source de ces matériaux qui se revendiquent du "réel" et sont bien diffusés en tant que tels). Pour la télé, il ne faut pas nier qu'il existait tout de même quelques exceptions de "fictions HFR" avec des programmes bas de gamme tournés et diffusés en trames entrelacées... On peut se rappeler de "l'âge d'or" de la fiction vidéo avec AB Production en France et de son ancestral "Hélène et les Garçons" qui a fait des tas de petits dans son sillage... ou encore les telenovelas brésiliennes qui ont déferlé (et déferlent toujours) sur les Etats-Unis et sont aussi considérées comme des sous-programmes...

D'ailleurs pour "The Hobbit", lors des projections tests, c'est exactement ce à quoi la presse a fait référence... bon là je la trouve un peu sévère, comparer le film de Peter Jackson à une telenovela brésilienne c'est un peu fort en chocolat ! Les brésiliens sont tout de même plus petits et ont la pilosité plus développée que des hobbits ou des nains ! Bon ok, blague à part, la comparaison est hard mais elle relie bien cette impression de fluidité dans les images à une référence très connue à la télé dans le pays... donc je ne fus pas du tout étonné de lire ces réactions à l'époque.


Je ne savais pas que "Plus Belle la Vie" était en HFR ! Fuyez pauvres fous !
Gandalf

Alors qu'est-ce qui ne va pas avec le HFR ? La réalité nous saute aux yeux, certains parlent "d'une magie envolée", pour ma part je considère que le filtre de l'écran entre le spectateur et les "acteurs" (je n'ai pas dit les personnages) est en train de se dissoudre de révolutions en révolutions technologiques. Malgré de grands talents et de grands moyens, ce filtre trop mince n'arrive plus à cacher l'autre réalité, la "vraie", celle de la conception du film lui-même. En HFR la moindre erreur technique devient inévitablement visible pour le spectateur... déjà l'accroissement de définition et la 3D ont eu raison de la qualité de nombreuses œuvres... mais le HFR ne pardonne plus ! Même les choses qui semblaient acquises sont remises en cause.

Réaliser un travelling en HFR devient un exploit par exemple ! Malgré la débauche de pixels, nombres de plans dans "The Hobbit" sont réalisés avec des mouvements de caméra bien réels... et pour la plupart ils ne passent pas le couperet de la cadence d'images amplifiée ! La moindre vibration, la plus petite irrégularité dans la vitesse de déplacement de la caméra, le minuscule accrochage, tous deviennent parfaitement "visibles" ! Pire, c'est exactement le même constat dans les panoramiques, un cadreur un tout petit peu hésitant va transmettre son indécision au rythme de la caméra ou du rig stéréoscopique en pivot sur son pied, et là encore ces variations seront perceptibles. Le pire, qui survient à plusieurs reprises dans le film, est attribué aux mouvements mêlant simultanément travellings et panoramiques. Notamment lors des premières séquences dans l'antre de Bilbon ou encore lors de grandiloquents shoots aériens... et c'est proprement insupportable... si l'on cherche à suivre un objet du regard il part par exemple un coup vers la gauche (à cause d'un travelling vers la droite) et soudain repart vers la droite (à cause d'un pano compensé vers la gauche)... et il fait le yoyo comme ça de droite à gauche une dizaine de fois avant que la caméra ne se stabilise. Les 24 images par seconde lissent ce type de mouvements... 48 ne pardonnent pas ! Et ceci malgré les post-traitements visant à stabiliser l'image... c'est d'autant plus désarmant de faire ce constat sur un film comme "The Hobbit".

Peut-on faire le pari d'un film en HFR réalisé parfaitement de bout en bout et ne laissant rien paraître de ses artifices ? Quand on voit toute l'énergie, la qualité et l'intelligence mises au service de "The Hobbit" on pourrait presque en douter... pourtant un film HFR sans artefact pourrait être géant ! La promesse d'un spectacle extraordinaire ! Peut-être l'est-il déjà pour des spectateurs qui n'auraient pas vu tous les défauts qu'on peut trouver chez le Hobbit ? Car même si beaucoup de scènes et/ou plans révèlent leur cruelle réalité, le Hobbit a d'incontestables bons moments... Certains mouvements de caméra proscrits au cinéma à cause de l'effet "judder" sont habilement utilisés par Peter Jackson... c'est d'ailleurs l'un des arguments de poids qui a tranché en faveur de l'adoption du HFR. L'effet "judder" intervient lorsque la prévision de mouvement générée par votre cerveau est en contradiction avec le mouvement réellement observé. Par exemple, au cinéma, bien qu'un film soit classiquement diffusé à 24 images par seconde, le projecteur flash au minimum l'écran 48 fois par seconde pour éviter un insoutenable clignotement ! Ça ne vous rappelle rien ? On procède au cinéma comme sur les premiers téléviseurs, mais contrairement à la vidéo qui affiche une première trame puis une autre, différente, au cinéma chacune des 24 images est projetée 2 fois, à l'identique. Lorsque vous regardez un objet "bouger" sur l'écran, votre cerveau, ultra-réactif, essaie de prédire en temps réel la position future de l'objet en tenant compte du mouvement effectué... or l'objet en question peut réapparaitre au même endroit d'une image à l'autre... du coup votre cerveau, ayant anticipé un mouvement et non un arrêt, vous donnera l'impression que l'objet a opéré un petit recul lors de l'apparition de cette double-image... avant de constater à nouveau un mouvement vers l'avant l'image d'après. Bref, un objet qui bouge sur l'écran de cinéma semble avancer en alternant grands bonds avant et petits pas en arrière... cette saccade désagréable, visible à certaines vitesses précises de l'objet sur l'écran, est appelée effet "judder" !

En HFR, l'effet "judder" est quasiment absent... car l'intervalle de temps très court entre 2 images identiques commence à défier la capacité d'analyse de notre cerveau, le mouvement nous semble redevenir cohérent... et donc la lecture cinétique des éléments sur une image est sensiblement améliorée ! Certaines scènes du Hobbit sont extrêmement riches... et facilement lisibles à la fois. Je pense notamment à la séquence des géants de pierre... les trajectoires des innombrables rochers qui s'abattent sur nos protagonistes sont d'une clarté impressionnante ! Ça y est, je me fais maintenant défenseur du HFR après en avoir été son contradicteur il y a quelques minutes ! Soyons clairs, je parle bien des avantages du HFR en tant que procédé étant capable de retranscrire correctement le mouvement... et ce constat ne date pas d'hier. Lorsque j'ai été subjugué la première fois par Avatar et sa 3D intelligente, j'avais émis l'idée à l'époque qu'il manquait tout de même quelques images par seconde pour pouvoir facilement déchiffrer les complexes phases d'action (comme la séquence de l'attaque du Thanator au tout début du film). L'indécrottable 24 images par seconde arrivait à ses limites... et devenait limitatif face à toute l'énergie déployée pour l'émergence d'un réalisme en 3D... mais je savais déjà à l'époque à quels dangers nous nous exposions de soulever cette idée de booster la cadence au cinéma, je savais quelles tragédies visuelles nous risquions à ouvrir cette boîte de Pandor(a) ! Beaucoup savent ici que James Cameron prépare ses "Avatar" 2 et 3 et qu'il a décidé d'opter non pas pour du 48 images par seconde au tournage, mais du 60 ! Théoriquement à cette cadence plus personne ne pourra sentir le découpage du mouvement en images fixes (à partir de 55 images par seconde l'œil humain moyen ne fait plus de différence entre une action continue et une action découpée image par image)... oui car paradoxalement à 48 images par seconde le procédé utilisé par Peter Jackson souffre de quelques limites, ça n'apparait vraiment que lors des phases intenses d'action où la caméra fait des panoramiques violents et il faut plutôt avoir l'œil pour détecter ces "saccades" légères... il est sûr qu'un 60 images par seconde viendrait parfaire ce genre de défauts.


Neytiri, j'ai le prénom de bébé, j'ai beaucoup hésité avec 48p mais finalement 60p ça le fait trop !
Jake Sully


Alors il se pourrait que la prochaine grande marche du HFR puisse être franchie avec Avatar... car les deux prochains Hobbit seront techniquement identiques à celui que vous pouvez découvrir actuellement en salle, eux aussi à 48 images par seconde, ou dits en 48p (48 progressive scan). Quid de l'accroissement de cadence ? Et de son usage aussi ? Sur "The Hobbit" il y a tout de même une utilisation paradoxale des procédés techniques sensés améliorer l'effet de réalité... on a bien le 4K, la 3D, le HFR... mais à côté de ça on a un étalonnage assez chargé, qui n'est pas sans rappeler celui du "Seigneur des Anneaux"... alors que sur Avatar les post-effets sur l'image sont beaucoup plus discrets et dictés par une volonté de James Cameron d'améliorer sans cesse l'immersion du spectateur dans ce monde à des années-lumière de nous mais relativement réaliste (d'un point de vue scientifique). Alors l'adoption du 60p se fera-t-elle avec cette même intense réflexion qui avait mené Cameron à aborder la 3D comme une nouvelle grammaire cinématographique ? ... en évitant les grossières fautes de tous ses prédécesseurs ? Ou alors nous risquons-nous à voir débarquer des films à cadences variables ? Passant alternativement du 24p au 48p ou au 60p selon la quantité d'action présente dans l'image ? Nous dirigeons-nous tout droit vers des caméras tournant à 120 images par seconde qui permettraient à la fois les transferts vers le 24p (en conservant 1 image sur 5), vers le 30p (en conservant 1 image sur 4) et vers le 60p (en conservant 1 image sur 2) ? Ou encore faut-il aborder le 300p testé depuis 2008 par la BBC et qui permettrait à la fois le transfert vers le 120p et toutes les déclinaisons citées ut supra tout en permettant des conversions vers le 50p (1 image sur 6) et le 25p (1 image sur 12), cadences compatibles avec la télévision européenne ?

"Eywa ! Regarde ce qu'ils ont fait aux nains et à mes cheveux, tu sauras de quel monde je viens !"
Le 23 août 2012, les spécifications internationales du successeur de la HD sur nos écrans de télévision ont été érigées et il est clairement indiqué que la future "4K Ultra HDTV" sera à 120 images par seconde ! Le réel va s'immiscer partout, il a commencé son œuvre au cinéma, il va continuer à progresser dans nos foyers. L'écran n'aura de cesse de connecter au mieux le spectateur au matériau filmé, mais pourra-t-on toujours raconter une histoire avec un effet de réalité aussi "parfait" ? Sera-t-on capable de titiller l'imaginaire du spectateur lorsque ce dernier, sous un déluge de stimuli, sera totalement confronté au réel ? Finalement le cinéma n'avait-il déjà pas réussi son pari d'émouvoir des générations d'êtres humains ? Le 24p affichera-t-il une résistance historique face à l'évolution technologique ? Sinon faut-il encore aller plus loin en nous risquant à dévoiler, malgré nous, les ficelles de la création ? Ou réussirons-nous, cinéastes et techniciens, encore à les cacher ?

Je finirai avec une citation... une vraie (ah bon ? parce qu'il y en a eu des fausses ? ^^') :


Ce n’est pas la réalité qui compte dans un film mais ce que l’imagination peut en faire.
Charlie Chaplin


PS : beaucoup de gens m'ont sollicité pour avoir mon avis sur le HFR, alors voilà, c'est fait. Il n'était pas meilleure occasion de faire naître ce blog avec la sortie de "The Hobbit" de Peter Jackson. Il s'agit vraiment d'une naissance car j'avais écrit mon premier (et seul !) article il y a 1 an et demi ! Je pensais me lancer à l'époque... aujourd'hui c'est chose faite. Finalement c'est ce blog qui s'exclame dans le titre de cet article... je lui souhaite donc longue vie dans la réalité... virtuelle.

2 commentaires:

  1. J'ai plusieurs questions :
    - En partant du principe qu'il faut environ 45 minutes pour s'habituer au HFR, mettre en place une variation de la cadence d'image en fonction de ce qui se passe à l'écran ne risque-t-il pas de donner un aspect "accéléré" aux séquences d'action ? Ou alors avec une montée progressive de la cadence ? Est-ce seulement possible ? Et dans ce cas pourquoi ne pas tenter d'augmenter progressivement la cadence au début du film pour arriver à 48ips au bout de 15-20-30 minutes ? Et commencer d'entrée de film avec de l'action frénétique n'aiderait-il pas à se faire à la cadence ? On pourra peut-être s'en rendre compte avec le 2 ou le 3.

    - A quand les films d'animation en HFR ? Ressent-on aussi cet aspect accéléré sur de la full 3D au cinéma ? Dans les scènes en full 3D du Hobbit je n'ai pas été gêné par le HFR, mais était-ce uniquement parce que je m'y était habitué ? Un pixar en HFR ça donne envie quand même, car même si leurs personnages n'ont pas un aspect réaliste, le travail effectué sur les textures, la lumière et la physique cherchent constamment à se rapprocher de ce que l'on peut rencontrer dans la vie.

    -Et pour finir sur mon approche perso, je n'ai pas eu le même ressenti. Certes je partage le côté accéléré qui m'a fait peur au début mais il est parti assez rapidement, après 10-20 minutes. Et sur la fin du film j'ai eu un moment ou je pouvais faire la différence entre les plans avec caméra 3D et ceux shootés à la main. Quand ils sortent de la grotte notamment. Par contre la magie est restée, pas un moment je n'ai été choqué par un coté trop réaliste/ programme TV/ film de vacance "la baule '96". Je pense que mon attention était focalisée sur l'accélération puis sur le film et honnêtement, RIEN ne m'a choqué, au contraire (oh mon dieu la précision des éclaboussures...). Mais peut-être est-ce dû au fait que la comté est un village déjà très bisounours et coloré, cela aurait peut-être été différent si l'on avait commencé par un lieu plus sombre. On verra dans les suites.

    Désolé pour le commentaire fleuve, d'un autre coté, tu as désormais suffisamment de question à répondre pour écrire un deuxième article !

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    1. Merci de ton commentaire Luc !

      Je réponds à tes questions dans l'ordre :

      - Concernant l'idée de films avec des cadences multiples, c'était une piste jetée comme ça mais j'espère que ça n'arrivera pas... techniquement il serait possible de diffuser des contenus mélangeant 24p et 48p ou 30p et 60p, à chaque fois en doublant les images pour les cadences faibles et en utilisant toutes les images pour les cadences hautes... mais comme tu le dis si bien, l'impression visuelle serait tant modifiée d'un plan à l'autre (ou d'une séquence à l'autre) que ça pourrait rendre le tout très indigeste ! Hélas c'est sûrement une piste à laquelle doivent penser quelques producteurs... qui jugeront que tourner et post-produire leur blockbuster 100% en HFR puisse coûter trop cher. Et on n'est pas l'abri, comme pour les conversions 2D à 3D, de films tournés à 24p rehaussés en cadences avec des interpolations de mouvement, à la manière de ce que font les téléviseurs. Comme je le disais, la boîte de Pandor(a) est ouverte ! Il faut savoir tout de même que cette idée des formats qui évoluent tout au long d'un film n'est pas neuve... notamment la valse des ratios d'images... citons par exemple The Dark Knight où on oscille du format 16/9 (séquences IMAX) au CinémaScope (séquences 35mm)... et il y a plein d'autres exemples, on sent cette liberté que s'octroient les réalisateurs avec le matériau filmique... et là c'est encore un jeu sur les supports argentiques... le numérique permet d'aller plus loin, la 3D, le 4K et le HFR en sont les fruits...

      - Le HFR peut avoir un intérêt très important sur les films full-CGI, comme les Disney-Pixar... effectivement dans les scènes entièrement générées par ordinateur sur le Hobbit, je suis d'accord avec toi, le HFR passe plutôt bien. Donc j'imagine que les films full-CGI en HFR, 48p puis 60p, ne vont pas tarder à envahir nos salles.

      - Certains ont mis 45 minutes à s'accommoder au HFR... toi 10 à 20 minutes... la séquence des nains débarquant de plus en plus nombreux chez Bilbon n'est pas innocente, elle est une manière aussi de présenter la technologie HFR par paliers successifs (même si juste avant nous étions gratifiés, sur le flashback au cœur d'Erebor, de plans habituellement interdits car trop "judderesques" en 24p)... c'est pour cela que dans mon introduction d'article j'associe avec légèreté les nains aux images... ce qui n'est pas loin d'être vrai dans les faits lorsqu'on analyse la mise en scène de Peter Jackson. Dans la suite du film, comme tu l'as dit, le HFR permet de faire la différence entre les plans full-CGI et les shoots réels... toujours le couteau à double-tranchant. Le HFR va demander d'être très exigeant sur les détails... la crainte que j'ai c'est qu'il fasse oublier aux artistes et techniciens d'être très exigeant sur les éléments qui font sens, les personnages... qu'ils soient vivants ou matériels... et qui en théorie doivent occulter les détails. L'art de cacher, de maquiller, de transformer va devenir un défi si terrible, sous le couperet du HFR, que les échecs seront catastrophiques !

      Attendons de voir... mais comme avec la 3D, je crains le pire !

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